Depuis plusieurs mois, le Luxembourg est, avec l'Irlande et les Pays-Bas, au cœur de la polémique sur les avantages fiscaux accordés aux grandes entreprises. L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) fait pression sur cet Etat fondateur de l'Union européenne, pour qu'il renonce à ses dispositifs fiscaux les plus controversés, légaux mais nocifs. De son côté, la Commission européenne enquête, depuis juin, sur les pratiques d'un pays qui a bâti un régime fiscal sur mesure pour ces grands groupes, dérogatoire du droit commun. Mais le Grand-Duché résiste et ne veut rien lâcher.
Grâce à ICIJ, nous avons eu accès à des accords fiscaux secrets datés de 2002 à 2010, signés entre le Grand-Duché du Luxembourg et 340 grandes entreprises. Des documents appelés « tax rulings » (littéralement, rescrits fiscaux), dont nous avons pris connaissance afin d'en analyser les enjeux et l'impact économique.
PRATIQUES AGRESSIVES D'OPTIMISATION
Ces accords sont tout aussi intéressants pour ce qu'ils révèlent des pratiques agressives d'optimisation des multinationales, que pour ce qu'ils disent de la politique fiscale du Luxembourg – qui, sur le papier, n'est pas un paradis fiscal – et des failles des règles internationales. Ils montrent comment ces géants du Net, des télécoms, de la finance ou de la grande consommation s'appuient sur le Luxembourg et ses règles fiscales souples, mais aussi sur les déficiences de la réglementation internationale, pour y transférer des profits afin qu'ils n'y soient pas taxés, ou très faiblement.
Ces groupes réalisent des milliards d'euros d'économie chaque année grâce à la création d'une holding ou d'une filiale au Luxembourg avec très peu d'activités et de salariés, privant les Etats où ces profits sont effectivement réalisés des impôts qui leur sont dûs. Qui plus est sans que jamais ces pays ne soient au courant.
Le Luxembourg garde ces accords fiscaux secrets. Il ne les notifie pas à ses partenaires européens, comme il le pourrait pourtant, étant mis au courant, de fait, par ces multinationales, de leur stratégie d'évitement de l'impôt.
LE RÔLE CENTRAL DE PRICEWATERHOUSECOOPERS
Les documents obtenus par ICIJ, dont une petite partie avait déjà été révélée en 2012 par la BBC et le journaliste Edouard Perrin du magazine Cash investigation sur France 2, datent dans leur grande majorité des années 2008-2010. Ils émanent tous du même cabinet d'audit et de conseil PricewaterhouseCoopers (PwC), qui les a rédigés et en a négocié les termes avec l'administration luxembourgeoise.
Ce sont les mêmes types de contrats que Bruxelles, soupçonnant des aides d'Etats illégales à l'egard de certaines entreprises, a réclamés au Luxembourg et que ce dernier refuse de lui communiquer. Le contentieux est devant la Cour de justice de l'Union européenne.
PwC a dénoncé auprès d'ICIJ l'origine frauduleuse de ces documents, qui, avant de parvenir à la fondation américaine, lui auraient été volés. Sur le fond, le cabinet justifie son activité, en arguant de la légalité de toutes ces opérations. Si la présence au Luxembourg de nombreuses multinationales américaines était déjà connue, les documents montrent que l'optimisation fiscale dite agressive par les experts de l'OCDE est un « sport » auquel la plupart des grandes entreprises semblent s'adonner.
De grands groupes européens sont pris dans les mailles du filet de ces révélations, allemands (Deutsche Bank), néerlandais, suédois (IKEA), belges... Des groupes français, dont Axa et le Crédit agricole, sont aussi concernés, profitant d'un environnement favorable à la gestion de fonds d'investissement.