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Collectif Saint-André-Vallée d'Hérault
21 avril 2014

"Le gaz de schiste est pire que le charbon" (ancien dirigeant de Mobil Oil)

Un ancien dirigeant du groupe pétrolier américain Mobil Oil explique son  opposition radicale aux forages de gaz et d'huile de schiste. Il pointe  les pollutions massives, l'impact important sur le climat, les  ressources limitées et appelle à sortir des énergies fossiles.
  Au temps de la guerre froide, on l’aurait qualifié de transfuge.  Ancien vice-président exécutif du groupe pétrolier Mobil Oil, Louis  Allstadt est devenu un opposant résolu à l’exploitation des gaz et des  pétroles de schiste. Aujourd’hui retraité, il a dirigé des opérations d’exploration et de  production de l’entreprise après avoir été en charge de ses activités  d’approvisionnement, de commerce et de transport pour le monde. Il a  également supervisé, côté Mobil, la fusion de son entreprise avec la  société Exxon – Exxon Mobil est aujourd’hui l’un des plus grands groupes mondiaux. Au total, Louis Allstadt a travaillé trente et un ans dans  les hydrocarbures.
Louis Allstadt, pendant notre entretien par Skype, le 2 avril (OA).Louis Allstadt, pendant notre entretien par Skype, le 2 avril (OA).
Mediapart a pu l’interroger pendant près d’une heure, par Skype et en public, dans le cadre d’une discussion qui a suivi la projection du  film de Lech Kowalski Holy Field Holy War , début avril. Nous publions ci-dessous la retranscription de cette conversation, complétée par un échange par email. Dans cet entretien, il s'inquiète en particulier des fuites de  méthane, un puissant gaz à effet de serre, lors des forages de gaz de  schiste. Des chercheurs viennent de mesurer des taux de fuite très  supérieurs aux estimations de l'agence américaine de protection de  l'environnement. Pourquoi vous opposez-vous à l’exploration et l’exploitation des  gaz de schiste, vous, un ancien cadre dirigeant de l’industrie  pétrolière ?  Louis Allstadt. J’ai pris ma retraite de l’industrie  pétrolière et gazière en 2000. Je n’ai aucune intention de travailler de nouveau dans ce secteur. Il y a six ans environ, des amis m’ont demandé s’il était possible de forer en toute sécurité des puits de gaz à  seulement 150 mètres du lac qui fournit l’eau potable de notre village.  J’ai d’abord trouvé très étrange de vouloir forer aussi près. Puis je me suis plongé dans les différences technologiques entre la  fracturation hydraulique et les méthodes des forages conventionnels. La  fracturation hydraulique utilise de 50 à 100 fois plus d’eau et de  produits chimiques que les anciens forages conventionnels. Son  infrastructure industrielle est aussi beaucoup plus importante. Le  problème des déchets est majeur : il faut environ 20 millions de litres  d’eau et environ 200 000 litres de produits chimiques pour fracturer. Un tiers environ de ces liquides ressort du puits chargé de métaux lourds. Ce sont des déchets toxiques et pour une part radioactifs. Le lien a  été fait entre leur stockage sous pression, dans les puits d’injection,  et des tremblements de terre à proximité. La moindre fuite crée un  sérieux problème aux réserves d’eau potable. Les riverains de forages par fracturation hydraulique sont victimes  de nuisances importantes. Il existe des procédés de recyclage de l’eau  usée qui permettent de consommer 30 % d’eau « fraîche » en moins. Mais il faut quand même énormément d’eau. Des progrès ont aussi été  accomplis dans la réalisation des puits, permettant de réduire les  fuites de méthane. Mais ces améliorations sont bien faibles au regard de la force brutale de cette technologie. Au bout de quelques années, je suis arrivé à la conclusion que  cette technologie ne peut pas être utilisée sans dommage, en particulier à proximité de là où des gens vivent et travaillent. Or je me suis  rendu compte que les réglementations étaient très limitées. La loi  américaine autorise par exemple les exploitants à garder secrète la  composition des produits chimiques qu’ils utilisent pour forer. Elle  autorise également les forages très près des écoles et des bâtiments  publics. J’espère donc que vous aurez de bien meilleures lois que nous.
Puits et stockage de gaz de schiste autour de Battlement Mesa, dans le Colorado (©TC).Puits et stockage de gaz de schiste autour de Battlement Mesa, dans le Colorado (©TC).
À quoi servent les gaz et huile de schiste aux États-Unis ? Le gaz de schiste n’est pas différent du gaz conventionnel. C’est  chimiquement la même chose. Pareil pour le pétrole. Le gaz, qu’il  provienne d’un forage par fracturation hydraulique ou d’un forage  conventionnel, passe par les mêmes tuyaux, les mêmes gazoducs et sert de la même manière au chauffage des logements, à produire de  l’électricité, à cuisiner. Aujourd’hui les principales sources d’énergie aux États-Unis sont le pétrole, qui sert principalement dans les  transports (essence, diesel, carburant aérien) et un peu pour le  chauffage. Le charbon est utilisé pour produire de l’électricité. Les  pourcentages des unes et des autres varient en fonction des régions  américaines. L’électricité est beaucoup produite à partir de charbon aux  États-Unis, ressource qui émet énormément de gaz à effet de serre, plus  que le gaz. Or l’un des arguments des pro-gaz de schiste est d’affirmer  que cette méthode réduit l’impact climatique de la production d’énergie. Que leur répondez-vous ? Si vous brûlez tout le gaz, vous émettez moins de dioxyde de  carbone qu’avec le charbon. Le problème, c’est qu’une grande partie de  ce gaz fuit et s’échappe dans l’atmosphère sous forme de méthane, qui  est 80 à 100 fois pire, en pouvoir de réchauffement, que le CO2 pendant les vingt ans qui suivent son rejet. Ces fuites sont un gros  problème. Et elles rendent en réalité le gaz pire que le charbon. Des  études sur les champs de production indiquent un taux de fuite dans  l’atmosphère qui peut atteindre 6 %. Sous les rues des grandes villes,  les vieux tuyaux qui fournissent le gaz aux logements et aux bâtiments  fuient quant à eux de 3 à 5 %. S’y ajoutent les fuites des stations de  compression, et celles qui se produisent chaque fois que vous allumez  votre gazinière. Or il suffit de 1 à 1,5 % de fuite pour que le recours  au gaz soit aussi mauvais que le charbon en matière d’émission de gaz à  effet de serre. Donc, même s’il semble que brûler du gaz soit plus propre que brûler  du charbon, c’est faux. On ne le sait que depuis ces dernières années.  Je dois dire que cela m’a surpris lorsque je l’ai découvert. Tous les  tests réalisés jusqu’ici indiquent que nous avons un très gros problème. L’exploitation du gaz et des huiles de schiste constitue une activité importante aux  États-Unis aujourd’hui. L’Europe peut-elle être un nouvel eldorado ?
Action du collectif "Les dindons" contre le forage de Hess Oil à Jouarre, 22 septembre 2013.Action du collectif "Les dindons" contre le forage de Hess Oil à Jouarre, 22 septembre 2013.
Vous pouvez probablement apprendre de ce qui s’est passé aux  États-Unis. Au départ, les entreprises gazières prétendaient que là où  il y a du gaz de schiste, vous pouvez bâtir un puits et en extraire du  gaz. Pendant quelques années, des puits de forage sont effectivement  apparus là où se trouvaient des gisements de gaz. Ce qu’on a découvert,  c’est que ce gaz n’est pas présent partout dans le sous-sol, mais  seulement en quelques endroits d’un potentiel gisement, ce qu’on appelle des « sweet spots », des « parties tendres ». Donc l’exploitant qui tombe sur une « partie tendre » peut très bien s’en sortir. Mais ceux qui ne les ont pas trouvées ne s’en sortent pas si bien. Par ailleurs, les premières estimations de l’étendue des réserves  gazières ont été très surestimées. Au départ, il se disait que les  États-Unis pouvaient avoir dans leur sous-sol l’équivalent de cent ans  de consommation de gaz. Maintenant, on ne parle plus que de vingt ans ou moins. Je ne connais pas précisément la situation des réserves  européennes. Mais je crois qu’il va se passer la même chose que pour le  reste des extractions de minerais : le produit est concentré en certains rares endroits, et il ne sera pas rentable d’exploiter le reste.  Regardez la décision que vient de prendre Shell, un des plus gros  groupes pétroliers au monde : ils réduisent leur engagement financier et en main-d’œuvre aux États-Unis dans le pétrole de schiste. C’est  emblématique des difficultés rencontrées par d’autre majors (voir ici à ce sujet, ndlr). Autre argument des défenseurs des forages de gaz et de pétrole de  schiste : permettre l’indépendance énergétique des États-Unis. N’est-ce  pas à vos yeux un horizon qui compte ? C’est ce que disaient les entreprises au départ. Elles le disent  toujours parfois. Mais cet argument ne se justifie vraiment pas. Les  puits de pétrole et de gaz de schiste s’épuisent très vite. En un an, la rentabilité peut décliner de 60 %, alors que les gisements  conventionnels de gaz déclinent lentement et peuvent rester productifs  40 ans après le début du forage. L’autre aspect, c’est que les forages visent les « parties tendres ». Quand elles sont épuisées, d’autres emplacements moins productifs  doivent être forés. Cela ne semble pas promettre des horizons  d’indépendance énergétique aux États-Unis. Au contraire, je pense qu’ils vont recommencer à importer du gaz d’ici la fin de la décennie. Les  États-Unis ne sont pas indépendants énergétiquement et ne le deviendront pas grâce aux forages de gaz et d’huile de schiste. Même s’ils  deviennent le plus gros producteur mondial de pétrole, ils continueront à en importer d’énormes quantités. Quant aux emplois créés, ils ne bénéficient pas aux riverains des  forages, mais profitent à des spécialistes venus du Texas ou d’Oklahoma  ou d’ailleurs, qui ne restent que tant que dure le forage, et partent  ensuite. Ils sont en général de courte durée.
Prise de vue depuis le campement d'Occupy Chevron en Pologne.Prise de vue depuis le campement d'Occupy Chevron en Pologne.
Si le bilan des gaz et huile de schiste est si mauvais, pourquoi  l’exploitation se poursuit-elle aux États-Unis et pourquoi Barack Obama  en fait-il une telle promotion, notamment lors de son voyage officiel en Europe le mois dernier ? Je pense que la position du président Obama est fortement influencée par son nouveau secrétaire à l’énergie, Ernest Moniz, qui est favorable à la fracturation hydraulique. Par ailleurs,  l’information sur la quantité des fuites de méthane dans l’atmosphère et leur impact sur le climat est relativement récente. Il faut du temps  aux gouvernements pour absorber l’information et changer de stratégie. C’est aussi une question géopolitique en lien avec ce qui se passe  aujourd’hui en Ukraine. Je serais surpris que les États-Unis exportent  de grandes quantités de gaz. Certaines entreprises veulent en exporter,  sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), parce que le prix du gaz est  plus élevé en Europe et en Asie. Mais je n’y crois pas. Nous n’avons pas à ce jour de terminal d’exportation gazière. Peut-être un ou deux  seront construits un jour, mais ils coûteraient beaucoup d’argent. Le  transport par mer de gaz liquéfié coûte aussi très cher. Ce serait donc  un investissement très risqué. Il n’y aura pas assez de gaz pour  maintenir une activité d’exportation sur le long terme. En France et en Europe on parle beaucoup de transition  énergétique. Les États-Unis pourraient-ils répondre à leurs besoins  d’énergie sans les gaz et huiles de schiste ? La clé à long terme, c’est le passage aux énergies  renouvelables : éolien, solaire, hydraulique. C’est la seule solution.  Les hydrocarbures faciles et bon marché ont déjà été exploités. Il ne  reste plus que les gaz et huile de schiste – mais leur production va  décliner – et les gisements non conventionnels, en eau profonde et dans  l’Arctique – mais ils coûtent extrêmement cher. Les renouvelables  doivent donc très vite commencer à remplacer les fossiles. Si vous prenez en compte les externalités des carburants  fossiles (le coût de leurs impacts sur l’environnement, ndlr), le coût  important de la protection des régions côtières, des inondations, et des autres effets du dérèglement climatique, les énergies renouvelables  sont d’ores et déjà compétitives. Car avec les hydrocarbures, il faut  payer deux fois : une fois à l’achat, et ensuite en impôts pour  rembourser les dommages qu’ils causent. L’opinion publique américaine est-elle favorable ou opposée aux gaz et huiles de schiste ? Aux États-Unis, les sondages peuvent dire tout et son  contraire. Sur les études les plus crédibles, il semble qu’environ 40 %  des personnes interrogées sont opposées à la fracturation hydraulique,  environ 40 % y sont favorables et 20 % indécises. Il faut comprendre  qu’aux États-Unis, les propriétaires fonciers sont aussi les détenteurs  des droits miniers. Si bien que les propriétaires de terres ont tendance à être favorables aux forages des gaz de schiste car ils y peuvent  toucher des droits et des recettes grâce à la location de leurs terres.  C’est différent dans la plupart des autres pays. Les voisins de forages  de gaz de schiste qui ne possèdent pas beaucoup de terrain ont tendance à s’inquiéter du sort des déchets issus de ces forages. Ainsi que du  trafic routier intense des camions qui vont et viennent des puits. Vous considérez-vous comme un lanceur d’alerte ? Je ne m’étais pas formulé les choses ainsi. Peut-être. Sauf que je ne dis rien qui ne soit déjà bien connu dans l’industrie des  hydrocarbures, ce qui ne correspond donc pas à la définition exacte de  ce qu’est un lanceur d’alerte. Comment l’industrie énergétique a-t-elle réagi à vos déclarations ? Ils ont été étonnamment silencieux. Ils n’ont rien répondu, en fait. Vous semblez être passé d’une critique des gaz et huiles de  schiste à une critique plus générale de l’utilisation des énergies  fossiles en raison de leurs effets néfastes sur le climat. 
Tout à fait. Je me suis d’abord inquiété des effets locaux des  exploitations des gaz de schiste là où j’habitais. Puis au fil des ans,  je me suis beaucoup moins inquiété pour les forages car les recherches  indiquent que les réserves ne sont vraisemblablement pas si importantes. Je suis aujourd’hui beaucoup plus inquiet des effets des gaz et huiles  de schiste sur le dérèglement climatique. Peu importe où vous forez, peu importe d’où vous émettez : les gaz rejetés vont dans l’atmosphère et  créent un problème pour nous tous, quel que soit votre lieu de vie. Pensez-vous qu’il faut aujourd’hui sortir du pétrole ? Ce n’est pas si simple d’en sortir. Cela prendra du temps. Mais nous  devons commencer à emprunter cette voie. Les coûts des renouvelables  baissent. Leur viabilité augmente assez vite. Notre approvisionnement  énergétique doit changer. Nous devons remplacer les énergies fossiles  aussi vite que possible par les renouvelables.

 

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